LA PLACE DE L’AFRIQUE DANS LA MONDIALISATION

L’histoire a pour égout des temps comme les nôtres; Et c’est là que la table est mise pour vous autres ”.Victor HUGO, les châtiments (1853)

      L’histoire d’un peuple, pour parler comme les historiens, nous renseigne sur l’évolution passée de ce dernier. Et c’est dans les faits retracés par celle-ci que l’intellectuel et l’analyste peuvent se permettre de détecter,  d’analyser et d’apporter à la lumière une nouvelle direction, quand l’ancienne est jugée inefficace. Ce faisant une question majeure semble se poser d’elle-même, celle de savoir: quelle était  l’ancienne direction? La réponse à cette question est d’autant plus rhétorique que le contexte actuel de mondialisation masque les frontières et les identités, les cultures et les systèmes de pensées, et tout questionnement s’inscrivant dans l’analyse des faits antérieurs est presque toujours perçue comme une transgression à la nouvelle loi et idéologie en place. Le présent article n’a pas la prétention de donner une leçon d’histoire au lecteur, ni même l’ambition de faire une rétrospection exhaustive sur les faits passés. Il se donne pour tâche de donner l’impulsion ou encore le ton, afin, qu’à travers un réveil des consciences longtemps endormis, l’ Afrique, et  en l’occurrence la jeunesse Africaine, de ce début du 21ème siècle se mette au nouveau diapason, car il est évident aujourd’hui que l’Afrique est passée par des époques et des révolutions, cependant aucune époque ni aucune révolution ne se reconnait sa paternité ( il n’est nullement question ici d’une révolution comme celle de l’empire Romain des siècles avant Jésus-Christ, qui consisterait en une annexion des territoires ou économies) ni même aussi d’une révolution qui soit semblable à celle française de 1789, et consisterait, elle, à un soulèvement contre les régimes en place, mais d’une nouvelle forme de révolution axée dans la réflexion sur l’identité de l’Afrique et de l’Africain dans un monde où la frontière entre l’espace continentale et l’espace intercontinentale déjà n’existe plus. Le présent article aura ainsi pour ambition de présenter dans une première partie une Afrique différente de celle que nous connaissons et dont l’histoire constitue fondamentalement un héritage aux peuples Africains, lancés sur les sentiers de l’assimilation et du sous-développement; La deuxième partie s’attellera à développer une réflexion sur la question de l’identité de l’Africain ou de son être-au-monde.    

L’Afrique dans sa tradition.

La tendance actuelle dans le monde entier et même en Afrique est de parler justement de cette dernière comme si elle datait de la période des indépendances. Comme si elle était un vaste territoire sauvage et sans civilisation qu’on aurait découvert au XIXème siècle, et à qui il aurait fallu tout apprendre comme à un nouveau-né. L’objet de cette section est d’apporter un contredit à cette conception des choses car l’Afrique, bien avant la  période coloniale existait et avait une organisation politique, économique et sociale qui surprendrait plus d’une personne aujourd’hui, à commencer par les Africains même.

C’est l’histoire longue d’une tradition Africaine qui s’est étalée sur des siècles avant et après notre ère, et dont nos ancêtres s’étaient donnés pour mission de transmettre l’originalité de génération en génération et pour principe de ne point faillir à cette tâche. Cette tradition Africaine par essence à pendant des millénaires nourrie l’organisation sociale, économique et même politique de notre continent avant l’arrivée des premiers explorateurs blancs.

 

 De l’organisation sociopolitique

L’organisation sociale de l’Afrique d’alors est soutenue par une morale et une éthique forte et dépositaire de la valeur humaine. Les relations entre individus et groupes d’individus manifestent un certain degré de cohésion et à la fois d’hiérarchisation au sein des groupes sociaux, ce qui conduit Léopold S. Senghor à voir dans cette société traditionnelle Africaine un socialisme tout fait (1).

  Les faits nous rapportent d’ailleurs aussi que la démocratie a existée en Afrique avant la période coloniale, et les formes de gouvernements d’alors étaient calquées sur des grands principes tels que : le consensus, la tolérance, le respect du bien public, la confiance, la loyauté. La société est organisée en groupes, et à la tête de chaque groupe se trouve un chef, qui d’après les critères du peule doit revêtir une certaine humilité et posséder une bonne dose de patience. La principale mission qui est confié à ce dernier est la création d’un cadre social mue par l’amour et l’amitié, et où chaque citoyen puisse participer à la prise de décision. L’arbre à palabre est par définition le lieu public et stratégique, un peu comme les assemblées générales d’aujourd’hui, où sont débattus et discutés les questions et les problèmes de la communauté. Bref, l’organisation sociopolitique de l’Afrique précoloniale est forte dépositaire des fondements de la démocratie. Il n’est donc pas eu besoin à l’époque de voyager pour la Grèce, ou de suivre un savant exposé d’Aristote sur la démocratie pour appliquer les principes démocratiques de base.

De l’organisation économique

L’échange qui est connu pour être l’une des caractéristiques fondamentales de l’économie, est d’ores et déjà au cœur des relations entre individus et groupes sociaux, et on va progressivement assister à une apparition des communautés d’échanges. Les économies Africaines, pour la plupart, sont organisées autour de ces systèmes d’échanges et durant plusieurs siècles, les biens vont s’échanger contre les biens, les produits contre les produits, ce qui va conduire les historiens à les qualifier d’économies de troc. Les Africains avaient alors compris, et comme le démontrait Aristote, qu’« il n’y a pas de communauté sans échange ».

   L’agriculture existe déjà en Afrique 2000 ans avant Jésus-Christ (2), et constitue en elle-même une source de subsistance pour les populations. Les agriculteurs s’organisent en groupes ou communautés de profession afin d’être plus productifs ; ils constituent des greniers communautaires, du moins dans certaines régions afin d’assurer une satisfaction de leurs besoins quotidien, s’inscrivant ainsi dans une vision long-termiste de leur consommation.

    La solidarité plus que la concurrence est prônée. La solidarité est tenue pour valeur sociale, et la culture populaire en est faite. L’économie est basée sur le partage des fruits de la production entre les membres de la communauté, et ces principes solidaires limitent les dérives et les souffrances humanitaires que nous déplorons de nos jours (…) Ce « socialisme complet » et économie de partage sera pris pour leur compte par plusieurs pays Européens, qui en feront le socle de leurs modèles de développement économique.

   « La monnaie comme unité de compte serait apparue dès le début de la civilisation urbaine » (3). L’Afrique a compris la nécessité d’un tel élément « dans la facilitation du calcul économique et pour rendre à la fois aisées et équitables les transactions » (4). La monnaie n’est pas encore ce que nous savons d’elle aujourd’hui, c’est-à-dire réserve de valeur et moyen de paiements. Elle est essentiellement utilisée comme numéraire dans les transactions, et va prendre différentes formes d’une région à une autre ; ainsi, on aura du « tissu à Bornu, servant de garantie d’échange, en Sénégambie et surtout chez les Wolof, du métal ferreux sur la côte de la Haute-Guinée, barres de cuivre dans le Delta du Niger ; Cependant, il y aussi des monnaies à vocation interrégionale : d’abord,  l’or dont on observe la circulation dans l’ouest Soudan et dans les régions forestières du royaume ashanti  au XIe siècle, et qui y existait « probablement avant » sous forme de poudre, soit de pièces (le mithgal frappé à Nikki au Bénin actuel). Ensuite, le cauri dont on décèlera l’utilisation plus tard (au XVe siècle en Mauritanie). Afin de parer à l’insuffisance de l’or ». (5) Le secteur bancaire de l’époque n’est peut-être pas aussi vaste et complexe que ce que nous connaissons aujourd’hui, mais il tout aussi organisé ; C’est ainsi que « l’organisation du crédit et du financement comprend deux catégories d’institutions : au niveau du village, il y a des associations de crédit telles les esusu yorouba, destinées à collecter des fonds à des fins essentiellement sociales comme les funérailles. Au niveau national et international, on a des marchés de capitaux où opèrent les marchands et les banquiers spécialisés, implantés dans les grands centres, les entrepôts : ils financent les activités au nom de leur clientèle et spéculent sur la « valeur » des monnaies ». (6)

   L’Afrique antique est donc structurée autour des valeurs culturelle, organisationnelle, éthique et est fortement attachée à sa tradition. Toutefois, la mondialisation, comme nous l’avons souligné au début de cet article, soulève dans l’Afrique moderne et partout dans le monde la question de l’assimilation des peuples, c’est-à-dire leur déracinement vis-à-vis de leurs traditions, le dénie de leurs cultures et le rejet de leur véritable identité.

De l’identité 

L’identité d’un peule ne se forge pas en une cinquantaine d’années, ni même en une centaine, mais durant des siècles et à travers les civilisations et les cultures qui le compose. C’est l’élément ou la caractéristique fondamentale qui permet à ce dernier de connaître et de comprendre sa différence et donc sa spécificité. Une rétrospection est donc, loin s’en faut, un signe de faiblesse, mais juste un recul, nécessaire à l’ajustement préalable qui permettra de faire le bon décisif vers l’émergence : car “le passé permet d’ordonner le présent pour se projeter dans le futur”. L’histoire n’est donc pas sans utilité. Non. Car si nous estimons que cinquante ans ne sauraient suffire pour imprimer une identité à un peuple, nous estimons aussi qu’en cinquante ans l’identité de ce dernier peut être biaisé voir même complètement supplantée aux risques et périls de son progrès. L’Afrique est typiquement aujourd’hui plongée dans cette situation, et le temps se prête encore bien à un retour à sa véritable identité. La principale caractéristique de la mondialisation aujourd’hui, c’est qu’elle a la rageuse tendance à effacer les identités et les cultures des peuples et à les assimiler à celles des puissances dominantes dont la seule ambition est d’imposer leur système de pensées. Nous sommes donc au cœur de la révolution la plus violente que le monde n’ait jamais connu : La révolution culturelle.  L’identité d’un peule découle directement de sa culture originelle ; cela signifie que : qui tient la culture tient l’identité, et c’est curieusement la mission que le monde semble avoir assigné à la grande mondialisation. Les multiples frustrations et séquelles psychologiques hérités de la colonisation ont conduit les Africains tels que Kwamé Nkrumah, Léopold Sédar Senghor, à prôner l’unité de l’Afrique (à travers le mouvement du Panafricanisme) pour l’un et à défendre l’émancipation de la culture noire (à travers le mouvement de la Négritude) pour l’autre. Ces pères qui avaient pour vision une Afrique différente de celle qui prévalait alors, ont par leurs actions, quoiqu’elles ne fussent pas coordonnées, initiés un long processus de restauration et de démêlement du méli-mélo culturelle qui avaient poussé beaucoup d’observateurs à qualifier les intellectuels africains d’analphabètes à l’entrée du vestibule de la mémoire perdue de nos ancêtres.

Pour CHINDJI-KOULEU, philosophe Camerounais et auteur du livre Négritude, Philosophie et mondialisation, « l’Afrique noire traverse en ce moment une période de transition vers sa propre prise en charge. Viendra donc le temps d’assurer son propre être-au-monde ». Pour que donc se concrétise ce temps de sa propre prise en charge, elle doit non chercher à effacer son passé, moins encore retourner dans celui-ci, mais elle doit faire un intelligent recours à ses sources (…)

L’Afrique doit définitivement se soustraire du cycle des revendications et des accusations vis-à-vis de l’occident (Europe et Amérique) pour s’intégrer dans une nouvelle dynamique : celle du changement de mentalité et l’ouverture d’une nouvelle page de son histoire ; celle de l’action, ou plus généralement ce que CHINDJI-KOULEU désigne dans Négritude, philosophie et mondialisation par un retour à une situation normale. Cette situation normale, caractérisée par un changement de mentalité sera le préalable sine qua none pour l’acheminement vers un progrès économique, politique et culturel, le tout porté par un fort rayonnement culturel.

L’Afrique doit également remettre à l’ordre du jour le concept de l’unité Africaine, longtemps prôné par Kwamé Nkrumah, le premier président de la république du Ghana, afin de s’arrimer aux exigences imposées par l’avènement du concept d’économie monde, et qui implique un certain niveau de compétitivité et d’autonomie de sa part ; Elle devra donc constituer un bloc uni, à l’exemple des autres pôles stratégico-économiques que sont l’Europe et les Etats-Unis, afin d’opposer aux attaques des marchés  internationaux une résilience à même de protégés ses intérêts et surtout ses couches sociales les plus faibles.

   En fin, nous pouvons dire avec Joseph TCHUNDJANG POUEMI que « l’Afrique devrait rompre avec le passivisme, fermer les oreilles aux mythes qui la condamnent à la misère, ne pas céder à l’illusion déterministe et avoir une véritable attitude prospective, celle qui accepte les faits mais non les fatalités, explorer l’avenir pour discerner, aujourd’hui, les moyens de l’occuper ».

Marius FOKA ; Azeumo Steve

REFERENCES

(1) CHINDJI-KOULEU (2001) : Négritude, philosophie et mondialisation, Editons CLE p.

 (23), (4)) 5), (6) Joseph TCHUNDJANG POUEMI (1980) : Monnaie, servitude et liberté, la répression monétaire de l’Afrique, éditions j.a.

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